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  • [ARTICLE] Le renouvellement de la fiction audiovisuelle via les web-séries. Un échec ?
    dansNOOB le09/07/2015 à 13:50

    Bonjour à tous !

    En bientôt 10 ans, les web-séries (pro ou non) françaises ne semblent pas avoir réussi à apporter à la fiction TV professionnelle, la bouffée d'oxygène annoncée. Depuis le boum de 2007 à 2011, les web-séries, malgré une qualité grandissante, voient même leur rayonnement décliner sur Internet au point que certains contenus, pourtant de qualité et bien plus aboutis que ceux de leurs pionniers, peinent à sortir de l'anonymat.

    J'ai profité d'un article très intéressant (voir ci-dessous) sur les problèmes rencontrés par les scénaristes français, pour rebondir sur le milieu de la web-série. 

     

     

    SourceTelerama (cliquez ici pour le lire). 

     

    Dans cet article, certains extraits m'inquiètent vraiment :

    « Je suis complètement déprimé, confie l'un des scénaristes parmi la vingtaine que nous avons sondés. Cela fait dix ans que je travaille dans le secteur et il n'y a pas une seule série à laquelle j'aie participé dont je sois fier. »

    « 200 projets soutenus par le CNC, 2 diffusés »

    « On nous dit : “Lâchez-vous”, et puis on se fait raboter tout ce qui dépasse. »

    « N'oubliez pas qu'on écrit pour des vieux ! » Résultat, certains ont intégré la consigne. « En dix ans, mes mécanismes d'autocensure ont été multipliés par 200 »

    « Les diffuseurs réfléchissent deux ans pour savoir s'il faut y aller ou pas. Et attendent en général des choses qu'ils ont déjà vues »

    « Notre boulot, c'est d'être payés des clopinettes pour réécrire 25 fois le scénario, selon les caprices d'un chargé de programmes »

    « Je supportais moins bien [...] de passer constamment des examens devant des petits jeunes gens à barbe de trois jours qui avaient l'âge de mes fils et faisaient des moues blasées devant ce que nous écrivions. »

     

    Et dire que dans le milieu de la fiction audiovisuelle, au delà de la vidéo, le nerf de la guerre c'est l'écriture... Sans ça, vous pouvez avoir le meilleur réalisateur et les meilleurs interprêtes du monde, il ne se passera rien... Bref ! L'avenir de la fiction « made in France » à la télévision est loin d'être réjouissant. Notre génération n'est pas celle que les chaînes ciblent, nous ne nous reconnaissons plus dans les fictions originales proposés et une fracture nette s'est formée, s'agrandissant d'année en année au point que les 10 – 35 ans ne jurent plus que par la vidéo sur Internet. Pourquoi pas, après tout ?

    Ce n'est pas nouveau, on sait que les choses sont ainsi depuis longtemps, mais ce qu'on ignorait en revanche, c'est que même le milieu de la web-série allait s'y casser les dents ! A une époque, nous espérions tous que la web-série spécialisée dans les mondes de l'imaginaire et les tendances geek, allait apporter à notre génération et les suivantes, une véritable bouffée d'oxygène. Nous annoncions tous qu'elle allait poser les bases d'un renouveau qui ne passerait plus par nos chaînes nationales (et leurs obscurs décisionnaires), mais directement par les spectateurs via Internet. Le record d'Europe, dont nous a gratifiés notre communauté pour Noob, a été un signal fort. Malheureusement, les médias ont préféré mettre un coup de projecteur sur le thème du crowdfunding dont nous n'étions qu'un exemple parmi tant d'autres, balayant d'un revers de la main l'aspect « création made in Internet ». Dommage... Nous aurions aimé voir les médias porter haut les couleurs d'une créativité audiovisuelle retrouvée. Des équipes débrouillardes partant de rien et utilisant les outils moderne pour proposer des contenus touchant enfin les jeunes générations, le tout avec très peu de budget. On aurait adoré voir les investisseurs venir en aide aux réalisateurs de web-séries ayant la confiance des 10 - 35 ans, pour les inclure dans un programme de renouvellement de la fiction audiovisuelle française allant de la toile jusqu'à la télévision. Vous savez, parfois, il suffit de pas grand chose pour déclencher un cercle vertueux pouvant avoir des répercussion positives sur tout un secteur émergeant.

    Nous étions naïfs… Hélas, en deux ans et demi, le record du crowdfunding de Noob (pour de la fiction audiovisuelle indépendante issue du net) n'a toujours pas été battu malgré une créativité foisonnante. Nous espérions que d'autres fictions, emportées par ce souffle nouveau, ces outils redoutables que sont les levées de fonds participatives, Youtube, les réseaux sociaux, etc... surpasseraient statistiquement les scores établis par Visiteur du Futur, Noob ou Flander's Company. On croyait dur comme fer qu'il y aurait un renouvellement tous les deux ou trois ans, que l'union ferait la force et qu'un cercle vertueux se mettrait en place, mais c'est le contraire qui semble se passer. Peu à peu, ce secteur pourtant si prometteur, a été délaissé par le public (les exceptions dans le milieu de la web-série faisant encore des centaines de milliers de vues se comptent sur les doigts d'une main et sont tous des vieux de la vieille). Aujourd'hui, les staffs avec qui je discute en festival ou que je connais bien (même les plus acharnés), abandonnent les uns après les autres, épuisés, sans moyens et sans la moindre esquisse de modèle économique pouvant leur apporter un peu d'aide et d'espoir. Souvent bénévoles, ceux qui tiennent les projets à bout de bras grâce à leurs compétences techniques, mettent leur vie entre parenthèse un an, deux ans, trois ans, certains en sont à six ans, date du début de la grande époque des fictions made in Internet en France, amorcée grâce à Nolife... puis ils lâchent l'affaire, vidés physiquement et moralement.

    Paradoxalement, la qualité des web-séries axées sur les mondes de l'imaginaire n'a jamais cessé d'augmenter. Les épisodes actuels sont beaucoup plus aboutis que ceux de 2007 / 2008 / 2009, lorsque Nerdz, Flanders company, Noob et Visiteur du Futur sont arrivés, portés par Nolife. Même si nous avons évolué nous aussi, il y a de la place pour beaucoup d'autres web-séries méritant elles aussi des centaines de milliers de vues.

    Ce que personne n'avait prévu, c'est qu'Internet allait avoir besoin de rythme. Depuis l'arrivée des youtubeurs, la norme a changée et il est devenu indispensable de sortir du contenu rapidement, régulièrement et sans discontinuité pour exister, or c'est incompatible avec le monde de la fiction audiovisuelle indépendante. La web-série a besoin de temps, a plus forte raison parce que bien souvent, une à trois personnes doivent abattre le travail de 10 à 20 techniciens (pour un projet équivalent chez les professionnels), le tout avec beaucoup d'inventivité pour pallier le manque de logistique. La web-série propose des contenus créés de toute pièce qu'il faut écrire, tourner, post produire, il faut composer la musique, créer les costumes et accessoires au service de l'immersion, le tout sans aucun support et surtout, il faut mobiliser et motiver beaucoup d'intervenants toute l'année (un staff souvent bénévole) ! C'est un travail passionnant mais colossal ! Ces dernières années, même les youtubeurs essayent d'ajouter de la fiction à leurs contenus, avec des mises en scènes toujours plus travaillées (Episode Mass Effect de Papy Grenier par exemple). La fiction indépendante ne s'éteindra pas, mais elle semble évoluer en tant que complément à autre chose et non plus comme une fin en soi.

    Enfin bref ! Certains contenus sont bluffant mais rien ne les pousse vers la lumière, c'est vraiment dommage et il n'existe aucune solution pour le moment. Tout ce qu'on peut faire, c'est en parler, essayer de faire découvrir telle ou telle vidéo à un petit groupe de personnes, puis à un autre, en espérant que l'un d'entre eux en parlera à son tour à d'autres et ainsi de suite. Depuis le temps, tout le monde sait que si un engouement doit survenir sur la toile, cela se fera tout seul. Il n'existe aucun bouton « buzz » sur lequel appuyer. Les gens décident de ce qui les intéresse et pendant combien de temps leur attention doit être retenue. Les créateurs de web-série ne peuvent que créer, créer, créer encore et partager le résultat de leurs efforts sur les réseaux sociaux, sur les sites de vidéo en streaming et aller en festival, c'est tout. Il est aussi possible de se serrer les coudes en se faisant de la com mutuellement, comme nous le faisons avec le web-district sur noob-online, en diffusant des bandes annonces aux Grand Rex, comme certains collectifs le font, etc... Si tout le monde joue le jeu et fait découvrir de nouvelles web-séries à sa communauté (de manière intelligente, c'est à dire en choisissant des contenus qui pourraient leur plaire), un jour peut-être, un déclic surviendra.

    Quoi qu'il en soit, heureusement que c'est un milieu de passionnés car sans ça, il n'y aurait plus beaucoup de web-série en France. Tout ce que j'espère, c'est qu'un jour, le renouveau de la fiction audiovisuelle française viendra du net parce qu'à en croire l'article, c'est pas gagné chez les pros. Pour que ça arrive, il va falloir élever notre niveau toujours plus haut, imaginer des histoires toujours plus originales, prenantes, tout en faisant preuve d'inventivité pour pallier l'absence de modèle économique. Si on n'arrive pas à fédérer un public massif, rien ne se passera. Et quand je dis ça, je parle bien entendu du milieu de la web-série dans son ensemble. Il a largement été démontré que la réussite d'un ou deux cas isolés pour X raison n'a aucun impact. Pour que le monde professionnel évolue, il faut que quelque chose de grand et de durable attire leur attention. Pour Noob et son crowdfunding, on était aux premières loges dans les studios de BFM Business pour entendre en off un journaliste lancer un singlant : " Entre nous, personne ne comprend ce qu'il s'est passé avec vous, mais ça n'arrivera pas deux fois dans le monde des web-séries. Ce secteur est un gouffre financier dépourvu de public ". J'espère sincèrement que l'avenir leur donnera tort.

    Alors oui, je donne un avis, mais à titre personnel, j'ai abandonné tout espoir de pouvoir changer quoi que ce soit à mon niveau (après 16 ans de pratique acharnée bénévole, j'arrive en fin de parcours, je suis désormais davantage auteur de BD et de romans que réalisateur de web-séries, même si je continue en toile de fond avec les copains et notre communauté car on rigole bien dans cette aventure). Au début, j'étais plein d'espoir, mais seul, on n'arrive à rien. On ne peut qu'accomplir des choses sympa au service de son oeuvre et en aucun cas changer les choses à plus grande échelle. Seul un succès collectif, englobant plusieures équipes y parviendra. Voilà pourquoi je crois énormément dans la capacité des nouveaux réalisateurs de web-séries à s'unir, à créer du contenu bluffant, à fédérer les communautés puis à changer les choses en profondeur, jusque dans le monde professionnel de la fiction audiovisuelle française dont je trouve dommage qu'elle ignore à ce point les générations ayant grandit avec Internet et les mondes de l'imaginaires.

    Et puis dans tous les cas, créer une web-série reste une aventure humaine qu'on n'oubliera jamais. En tout cas, je n'ai aucun regret. 

    Le sujet n'en demeure pas moins très vaste, il n'existe aucune réponse certaine, aucune formule magique, c'est pourquoi je vous invite à débattre de tout ça sur notre Facebook.

     

    PS : Dans cet article, je ne parle pas des web-séries dont le contenu ressemble à ce qu'on voit déjà à la télévision, car je connais mal cette branche. Mes propos se concentrent essentiellement sur les web-séries axées sur les mondes de l'imaginaire (science-fiction, fantasy, fantastique, geek, etc…)

     

    Fabien Fournier

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